Avant que tout disparaisse
Aller dans la forêt, dans la forêt profonde se confier entièrement à la forêt, tout est là, dans cette pensée : n'être soi-même rien d'autre que la nature en personne.
Robert Musil
Les grands espaces de la nature sont les territoires habituellement consacrés par la photographie de paysage. Je leur préfère la forêt, celle qui foisonne et dissimule jusqu’à l’oubli. Une fois qu'on s'y enfonce et qu'on y abandonne ses repères, elle libère notre imaginaire et offre d'autres sensations de l’espace et du temps.
À la fois refuge et péril, la forêt a façonné notre culture et nos mythes et nous en conservons tous une projection intérieure, À Farnese au passé millénaire, dans la forêt mutilée de Calangianus ou à Maladroxia au maquis sans valeur, les histoires inscrites sur et dans ces paysages sont une mémoire commune qui témoigne de notre passage dans le temps. C'est au plus profond de ces massifs asservis, là où la vie confine à une résistance inerte, que ces images apparaissent.
J'ai toujours pensé qu'aucune chose n'avait plus ou moins de mérite à être photographiée et ici il n'y a plus rien de remarquable. L'outrance végétale règne jusqu'à la confusion et l'œil peine à se projeter, à concevoir une image. Y a t-il quelque chose ou rien? Dans cet encombrement je perçois une tension que je tente de résoudre par une photographie, avant qu'une pensée émerge, avant que ma mémoire ne colonise le cadre. Je m'abandonne à la forêt, l'appareil et le geste suffisent, je m'efface et laisse l'image m'apprendre de quoi il s'agit.
FARNÈSE • CALANGIANUS • MALADROXIA • CIMINIA